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dimanche 10 mars 2013

Sécurité alimentaire - La viande de cheval remet sur le tapis la question de la souveraineté alimentaire



L’affaire de la viande de cheval roumaine n’est malheureusement pas une exception dans le monde des crises agro-alimentaires. Les scandales sanitaires s’enchaînent depuis plusieurs années et une question s’impose de plus en plus : à qui la faute ? Ce qui est d’ores et déjà évident, c’est que la mondialisation a initié ce qui est devenu le véritable fléau de nos sociétés modernes. Nous sommes effectivement dans un système de mondialisation qui implique aujourd’hui des échanges entre tous les coins du monde. Bien que ce système ait permis une grande diversité de produits qui nous permet aujourd’hui d’avoir le choix dans nos assiettes, la mondialisation a aussi et surtout engendré la perte des régulations économiques. Nous nous poserons de savoir qui est responsable dans cette affaire.

Dans le circuit de la viande industrielle, les règles nationales, communautaires et internationales sont devenues impuissantes à contrôler la production de viande. Comment sont élevés les animaux d’élevage industriel ? dans quelles conditions sont-ils abattus ? Qui étiquètent les produits ? Y a-t-il des contrôles ?

Que s’est-t-il passé ? En septembre 2012, en Irlande, un inspecteur sanitaire constate un problème d’étiquetage et d’emballage sur un stock de viandes surgelées. Sans le savoir, il vient de tomber sur l’un des plus grands scandales alimentaires et sanitaires récents. Il faudra trois mois aux autorités irlandaises pour remonter la filière. L’affaire éclate alors au grand jour en janvier et il est révélé que les steaks de boeuf contiennent en réalité une part majoritaire de viande de cheval provenant de Pologne. Inquiets, la plupart des pays de l’Union Européenne (UE) commence alors à effectuer des tests et finalement, le scandale touche une bonne partie des pays européens. Actuellement, trois filières sont cernées : la première est irlandaise avec la viande de cheval polonaise. La deuxième est française avec la viande de cheval roumaine et la dernière touche le Royaume-Uni.

Qui en est à l’origine ? Si Spanghero porte aujourd’hui plainte c’est pour tromperie sur la marchandise. Cette affaire révèle en fait que le commerce de la viande industriel ne se fait pas seulement entre un fabricant, un distributeur et un fournisseur  Au nom de la recherche d’un prix de viande toujours plus bas, la présence de nombreux intermédiaires met en lumière un circuit commercial extrêmement complexe.

Revenons sur la filière française. Comigel, producteur et distributeur de plats surgelés, s’est adressé à Spanghero, fabricant et commerçant dans les produits à base de viande, pour qu’il lui fournisse de la viande de boeuf. Spanghero s’est alors adressé à un négociant chypriote afin d’obtenir une viande moins chère. Ce négociant, la Société Draap Trading LTD a alors sous-traité la commande à un trader néerlandais, la Société Meat Trading. Cette dernière a fait appel à un abattoir Roumain, Tavola, pour lui fournir la viande, qui a ensuite été stockée au Pays-Bas puis renvoyée dans l’usine Comigel en France, sous l’étiquetage «viande de boeuf UE». L’usine a alors préparé ses plats à base de viande et les a distribués dans treize pays européens.





Deux problème de fond et un problème de forme ont mis le feu à l’allumette.
Premièrement, sur le fond : après des analyses sur la viande qui s’est révélée être une viande de cheval, a été détectée la présence à faible dose d’un puissant anti-douleur fréquemment administré aux chevaux par les vétérinaires équins : la phénylbutazone. Cet anti-douleur, fortement déconseillé en Union Européenne pour l’humain, n’est plus commercialisé en France depuis le 31 décembre 2011. Il est aussi en principe interdit pour les animaux destinés à la boucherie au Canada et aux Etats-Unis.  Toutefois, une étude parue en 2010 dans la revue» Food and Chemical Toxicologie» démontre que 16 sur 18 chevaux de course américains envoyés à l’abattoir au Canada ont subi une injection de cet anti-douleur.

Suite à un audit mené en 2003 par l’Office Alimentaire et vétérinaire (OAV) européen dans différents abattoirs canadiens, le constat est accablant :
"Depuis août 2010 les chevaux destinés à l’abattage doivent être munis d’une déclaration signée du dernier propriétaire donnant des renseignements sur l’identité du cheval, ses traitements médicaux lors des six derniers mois et confirmant qu’aucun accélérateur de croissance ne lui a été administré. La majorité des chevaux abattus pour l’exportation à destination de l’Union européenne sont directement importés des Etats-Unis où cette exigence est également de mise. Ces chevaux importés sont accompagnés d’une déclaration signée du dernier propriétaire. Néanmoins, aucune garantie officielle n’est demandée aux autorités quant à la vérification et la fiabilité de cette déclaration (...). Le système de contrôle mis en place au Canada pour vérifier l’usage de médicaments des chevaux destinés à l’abattage, comme spécifié dans la directive 96/23/EC, est inadéquat".
Voici la réponse des autorités canadiennes : «Il ne peut être exclu que des animaux aient été traités à un moment de leur vie avec du phénylbutazone».

La Direction générale de la santé et de la protection des consommateurs de l’UE affirmait dans un extrait de rapport d’une mission effectuée par l’OAV en Argentine concernant la fièvre aphteuse en 2002, que la traçabilité et le contrôle dans les exploitations agrées UE était douteux. «Il est particulièrement préoccupant que des chevaux de compétition ou d'origine inconnue puissent entrer dans la chaîne alimentaire, alors qu'ils ne font normalement pas partie des animaux destinés à la production d'aliments.» La Direction ajoutait que concernant le contrôle à l’abattage, «Le contrôle et la supervision exercés par les instances fédérales sur les établissements et les contrôles au niveau local ne sont pas toujours effectués de manière satisfaisante ou uniforme.» Elle indiquait également que la phénylbutazone était exclu des contrôles de surveillance en 2003 et que le système de traçabilité pour la viande ne peut garantir un suivi en amont jusqu'à toutes les exploitations où avaient séjourné des animaux abattus en vue d'être exportés vers l'UE.

Concernant les viandes internes à l’UE, la Direction, dans la présentation générale d’une série de missions effectuées de 2003 à 2005 dans quinze états membres, indiquait que deux états membres (dont l’identité n’est pas citée) utilisait du phénylbutazone pour bovins et porcins, non conforme aux prescriptions communautaires. En 2002, la Direction, dans un rapport du même type, relevait que le Royaume-Uni utilisait cet anti-douleur comme médicament vétérinaire chez les animaux producteurs d’aliments dans l’UE. Fin février, Stéphane Le Foll annonçait que trois carcasses de viande contenant de la phénylbutazone étaient entrées dans la chaîne alimentaire française et consommées. N’y a-t-il pas là une certaine carence des contrôles vétérinaires ?

Ensuite, toujours sur un problème de fond : la présence de minerais de viande retrouvés dans la chaîne alimentaire française. En vertu des Spécifications techniques B1-12-03 du 28 janvier 2003 applicable aux viandes hachées et aux préparations de viandes hachées de boucherie, les minerais de viande désignent ce que l’on a le droit d’utiliser pour fabriquer des viandes hachées, c’est-à-dire «des ensembles de muscles striés et de leurs affranchis, y compris les tissus graisseux y attenant provenant de viandes fraîches». Quelle justification donnée à ce qui était interdit 40 ans auparavant ? Comment ces minerais se retrouvent aujourd’hui dans nos assiettes ? Non interdit en France mais très réglementé, le minerai est autorisé dans les plats préparés à base de viande mais pas dans la viande en elle-même comme le steak haché par exemple. Le problème c’est qu’il semblerait que cette réglementation ne soit en réalité pas respectée puisque la pratique d’utiliser absolument tous les minerais est courante chez les traders en viande. Du muscle, du collagène, des tissus graisseux, des restes de toutes sortes peuvent être utilisés. Pour revendre la viande moins chère, ces traders stockent la viande et ses minerais afin qu’elle se défraîchisse : en effet, moins la viande est fraîche, moins elle est chère et le prix de certains muscles se déprécie au fil du temps.

Deuxièmement, sur la forme : l’étiquetage des produits. Qui détient la vérité quand d’un côté  Spanghero a clairement affirmé avoir commandé de la viande de boeuf au trader chypriote qui a transmis la commande aux Pays-Bas et que de l’autre l’abattoir roumain confirme avoir reçu pour commande de la viande de cheval ? Les autorités européennes soupçonnent fortement les intermédiaires néerlandais et chypriotes de tromperie sur la marchandise. Tout semble se passer entre eux : l’abattoir roumain a en effet confirmé avoir reçu commande de viande de cheval, viande qu’il a ensuite expédié tout naturellement sous l’étiquetage «viande de cheval». Le produit est ensuite arrivé dans l’usine Comigel avec l’étiquetage «viande de boeuf UE» mais avec un code douanier qui signifiait que le produit était bien de la viande de cheval. Ces informations semblent ainsi accabler le négociant et le sous-traitant, déjà condamnés  pour fraude en 2012 pour avoir vendu en 2007 et 2009 de la viande de cheval argentin en France sous l’étiquetage viande de boeuf halal. La viande de cheval étant moins coûteuse que la viande de boeuf, ces deux intermédiaires avaient ainsi réalisés 3,8 millions d’euros de bénéfices. A titre de sanction, ils ont simplement écopé d’un an de prison pour l’intermédiaire chypriote, 3 mois avec sursis et 160 heures de travaux d’intérêt général pour l’intermédiaire néerlandais.



Le fait de faire appel à des intermédiaires douteux qui font partie intégrante de l’Union Européenne remet sur le tapis la question de la souveraineté alimentaire : suite à ce nouveau scandale sanitaire, ne serait-il pas nécessaire de réviser les accords de Schengen qui ont posé le principe d’un libre-échange et donc d’une absence de contrôle aux frontières des Etats de l’UE ? La souveraineté que recherchent aujourd’hui les responsables politiques et économiques n’impliquerait-elle pas de relocaliser la production pour en maîtriser le contenu ?

Par ailleurs, du point de vue du consommateur, il demeure une vraie carence juridique dans la filière de la viande. Comment expliquer par exemple que sur l’étiquette ne soit pas précisée la viande à laquelle on a à faire ? Est-ce de la viande hachée ou de la préparation ? Et comment justifier que les opérateurs industriels ne mentionnent pas le pays d’origine de leur viande ? Tant de questions qui ne devraient pas manquer de faire réfléchir le consommateur sur la responsabilité de l’Etat dans cette affaire.

Et quand est-il de la responsabilité du consommateur dans son quotidien? Depuis 1930, notre consommation de viande en France a triplé. Depuis les années 1950, elle a doublé, parce qu’il fallait des débouchés pour écouler la viande produite massivement. A partir des années 1960 à la télévision, il y a eu une multiplication de publicités et de programmes qui ont commencé à inciter à une consommation de viande plus régulière. Pour quelles raisons réduire notre consommation aujourd’hui ? Le scandale actuel semble être une belle réponse aux dérives de la filière de la viande industrielle, qui surfe sur la vague de l’ultra-consommation. Autre alibi pour le consommateur : le coût de la vie a augmenté et le budget accordé au poste nourriture a largement diminué. Le consommateur de nos jours privilégie effectivement certains postes de consommation qui passe devant le budget nourriture et il est alors difficile de lui demander de payer le prix juste et nécessaire pour ce qu’il consomme. Le principe c’est le bon marché, ce qui explique sans doute le recours aux intermédiaires. Une étude de l’Insee de 2009 démontrait que la part de l’alimentation avait baissé de 10 points entre 1960 et 2005, au profit du logement, du transport, de la santé, des dépenses  de communication des et loisirs. Cette même étude révélait que la hausse du pouvoir d’achat des français avait modifié leurs habitudes de consommation pour privilégier la nourriture rapide. Aujourd’hui, le fast-food est le nouveau leader de la restauration en France.



Le risque sanitaire de l’industrialisation de la viande répond donc à une forte demande pour "booster" la productivité. Sans parler que les animaux sont dopés : champignons qui prolifèrent dans les élevages industriels, des anti-parasitaires, des antibiotiques par centaines de tonnes, des hormones de croissance qui sont pratiquement interdites en Europe et quantité de produits dont on connaît très mal la toxicité à long terme.

Le Ministre de l’agriculture a rappelé il y a quelques semaines qu’il incombait au professionnel un devoir de vérification (par lui-même) de la marchandise qu’il reçoit. Comigel (pour ne citer que lui) n’était-il pas au courant d’un tel commerce sur la viande ?

Cette affaire va peut-être permettre de renforcer les contrôles sur la filière viande. La Commission Européenne a établi le 19 février 2003 un plan de contrôle coordonné : il consiste à  demander aux Etats Membres de mettre en oeuvre pendant une période d’un mois seulement à compter du 19 février jusqu’au 1er mars un plan en vue d’établir la prévalence de pratiques frauduleuses dans la commercialisation de certains produits alimentaires. Effectivement, tout l’enjeu pour les géants industriels tels que Picard, Panzani ou Findus est la confiance des consommateurs. Bien qu’il serait difficile de réformer l’élevage industriel, il le serait moins de revoir son fonctionnement et redéfinir ses objectifs. Aujourd’hui l’élevage industriel semble obéir à des règles qui ne répondent plus à la demande du consommateur, mais qui serait guidé par des lobbies. L’abondance et la prospérité alimentaire sont les règles, ce qui ne va évidemment pas de paire avec la sécurité alimentaire. C’est la question que se posent actuellement les pouvoirs publics et c’est la raison pour laquelle l’idée d’une souveraineté alimentaire est aujourd’hui débattue. Un pacte de confiance entre les différents acteurs de l’industrie alimentaire, que ce soit les fabricants, les fournisseurs, les distributeurs ou les consommateurs, semble nécessaire.

Le ministre de l’Agriculture a annoncé qu’un renforcement des sanctions en cas de fraude serait introduit dans le futur projet de loi relatif à la Consommation. Les amendes actuellement de 37.500 euros pour une personne physique et de 187.000 euros pour une personne morale, pourraient être portés à respectivement 300.000 et 1,5 million d'euros, assorti d'un prélèvement de 10% sur les chiffres d'affaires des entreprises concernées et d'une interdiction d'exercer.

Audrey Pique.